Le cadre juridique du secteur ferroviaire au Cameroun

Le cadre juridique du secteur ferroviaire au Cameroun : Une vue d’ensemble à travers des questions-réponses

Par Me Jacob Akuo, Associé

Masters, Université d’Essex

Masters, Université catholique de Lyon

Masters 2, Université Lumière Lyon 2

Introduction

Le Cameroun, comme beaucoup d’autres pays africains, possède un système de transport ferroviaire relativement modeste. Historiquement, ce réseau ferroviaire a été hérité des puissances coloniales qui l’ont principalement utilisé pour le transport des ressources naturelles et des produits agricoles tropicaux de l’intérieur du pays vers les ports côtiers pour l’exportation vers les marchés d’Europe, d’Amérique du Nord et, dans certains cas, d’Asie.

Dans le cas du Cameroun, l’infrastructure ferroviaire a été initialement mise en place par les Allemands entre 1884 et 1916, période pendant laquelle le Cameroun était leur protectorat (colonie). Par la suite, le contrôle du Cameroun est passé aux Français et aux Britanniques après la Première Guerre mondiale, qui a vu le pays divisé entre les deux puissances coloniales. Ces derniers ont développé les réseaux ferroviaires existants pour relier les régions intérieures, facilitant ainsi le transport de produits de valeur tels que les noix de palme, les bananes, le caoutchouc et d’autres ressources naturelles précieuses vers les ports de Douala, pour le commerce international. Il est remarquable que, depuis son accession à l’indépendance dans les années 1960, le Cameroun n’ait fait que très peu, voire pas du tout, d’ajouts à son infrastructure ferroviaire.

L’État actuel du réseau ferroviaire camerounais

Actuellement, le réseau ferroviaire du Cameroun s’étend sur environ 1000 kilomètres. Partant de Douala, le cœur économique du pays et le plus grand port maritime de la sous-région de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), ces chemins de fer s’étendent dans deux directions : la ligne occidentale Douala-Kumba et la ligne Douala-Yaoundé-Belabo-Ngaoundéré. Pour de nombreuses communautés, le chemin de fer reste le principal moyen de transport. De plus, la ligne Douala-Yaoundé-Belabo-Ngaoundéré joue un rôle central dans les échanges nationaux et internationaux de marchandises. Les marchandises arrivant au principal port en eau profonde de Douala sont transportées par ce réseau ferroviaire jusqu’à Belabo-Ngaoundéré, d’où elles sont ensuite acheminées par voie terrestre vers les pays enclavés de la CEMAC, tels que la République centrafricaine et le Tchad, et vice-versa. A titre d’illustration, le 10 juillet 2023, le Ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire a lancé un appel d’offres national restreint pour la présélection de bureaux, cabinets ou groupements en vue de la réalisation des études architecturales et techniques pour la construction du port sec de Ngaoundéré dans la région de l’Adamaoua.

La Gestion du réseau ferroviaire camerounais

La gestion du réseau ferroviaire camerounais relève d’une concession accordée à la Cameroon Railways (CAMRAIL), une entité qui détient un quasi-monopole sur le marché. La Société camerounaise des chemins de fer ou SCCF (qui fait partie du Groupe Bolloré) détenait une participation majoritaire de plus de 77 % dans CAMRAIL avant d’être récemment vendue à Africa Global Logistics, qui fait partie du groupe MSC. Le gouvernement camerounais quant à lui conserve un peu plus de 13 %, le reste étant détenu par Total Energies. La société CAMRAIL qui est née du vent de la privatisation des entreprises nationales est issue de la dissolution de la défunte Régie Nationale des Chemins de Fer du Cameroun ou REGIFERCAM (créée le 17 juillet 1947).

La société CAMRAIL est détenue par l’État du Cameroun, et a obtenu sa concession à l’issue de négociations menées entre janvier 1996 et janvier 1999. Cette concession signée le 19 janvier 1999 a pris effet en avril 1999, pour une durée initiale de vingt (20) ans. Elle a connue deux avenants conclus en 2005 et 2008. La concession, un élément crucial du plan de restructuration économique du Cameroun mandaté par le Fonds monétaire international à l’époque dans le cadre du programme d’allègement de la dette du Cameroun, a confié à la société CAMRAIL la gestion technique et commerciale du système ferroviaire, l’entretien, le développement de l’infrastructure, l’exploitation et la gestion du patrimoine ferroviaire. Cette concession est valable jusqu’en 2034.

L’Evolution du cadre juridique

Après l’arrêté ministériel du 17 juillet 1947 qui a érigé la REGIFERCAM et ses textes subséquents, le cadre juridique régissant le système ferroviaire camerounais était ancré dans la Loi n°74/10 du 16 juillet 1974 relative à la police et à la sécurité des chemins de fer. Compte tenu de l’importance du secteur ferroviaire pour l’économie du pays, cette loi a été jugée inadéquate. Par conséquent, lorsque le Cameroun a négocié la concession détenue aujourd’hui par CAMRAIL, il a intégré le cadre réglementaire régissant le transport ferroviaire au Cameroun, dans ces négociations. La concession de CAMRAIL devant expirer en 2034, et désireux d’améliorer ses infrastructures dans le cadre de sa stratégie nationale de développement pour la période 2020-2030, le Cameroun a promulgué en juillet 2023 une loi visant à réglementer le secteur ferroviaire et à ouvrir le marché des chemins de fer à de nouveaux acteurs.

La Loi n° 2023/010 : Nouveau cadre juridique

La loi N°2023/010 du 25 juillet 2023 régissant le secteur ferroviaire au Cameroun définit le nouveau cadre juridique du secteur ferroviaire au Cameroun. Reconnaissant le sous-développement du secteur, cette loi expose ses objectifs dans son article 1 alinéa 2. Les objectifs de la loi comprennent la définition des règles régissant les attributions et les interactions des différents acteurs institutionnels du secteur ferroviaire, les conditions de constitution et de gestion du patrimoine ferroviaire, les normes de construction, d’exploitation, d’entretien, du renouvellement, du développement et de la gestion des réseaux ferroviaires, la sécurité et la sûreté ferroviaires, la réglementation des professions ferroviaires et du personnel technique, la protection civile et environnementale, le règlement des différends entre les principaux acteurs et les sanctions en cas de violation de la loi.

Les principaux développements et influences sur le cadre juridique du secteur ferroviaire

Il convient de noter que cette loi est le résultat de plusieurs événements importants.

Tout d’abord, le 21 octobre 2016, un important déraillement de train s’est produit à Eseka, une petite ville de la région du Centre du Cameroun, faisant 79 victimes et plus de 600 blessés. En réponse à cet incident tragique, le président de la République du Cameroun a créé une commission d’enquête chargée de mener des investigations approfondies sur le déraillement du train. Cette Commission a achevé et publié son rapport sept mois plus tard, en mai 2017, attribuant l’entière responsabilité du déraillement au concessionnaire CAMRAIL.

Deuxièmement, elle fait suite à une visite récente d’une délégation de la Commission de la production et des échanges de l’Assemblée nationale. Lors de cette visite, la société CAMRAIL a fait état d’investissements d’un montant total de 700 milliards de francs CFA, soit un peu plus d’un milliard d’euros, depuis le début de sa concession en avril 1999. Elle a également indiqué avoir versé à l’État plus de 240 milliards de francs CFA, soit environ 367 millions d’euros, sous forme de droits fixes et variables, d’impôts et de taxes. En outre, la société CAMRAIL a mis en évidence des investissements supérieurs à 288 milliards de francs CFA, soit environ 440 millions d’euros, pour l’amélioration et l’entretien du réseau ferroviaire.

Troisièmement, cette loi suit également l’évaluation faite par le Parlement de la détérioration continue des infrastructures ferroviaires, de la baisse significative du nombre de passagers de 1,4 million en 2010 à 600 000 en 2021, de la baisse du volume de marchandises transportées d’une estimation de 1,9 million de tonnes en 2010 à 1,6 million de tonnes en 2021, et de la fermeture des routes Mbanga-Kumba et Ngoumou-Mbalmayo. Il est évident que l’insuffisance des investissements, la baisse de la qualité des services et l’affaiblissement des mécanismes de contrôle et de sanction de l’État dans ce secteur ont conduit à une perte progressive de compétitivité. En réponse, des négociations sont en cours avec l’Agence Française de Développement (AFD) pour un prêt de 126 millions d’euros afin de rénouveller la ligne ferroviaire Belabo-Ngaoundéré.

Enfin, il est important de reconnaître que cette loi jette les bases de plusieurs projets ferroviaires attendus depuis longtemps. Le rapport sur l’économie camerounaise 2022, publié par le ministère de l’économie, de la planification et de l’aménagement du territoire, décrit une série d’initiatives ferroviaires importantes. Celles-ci comprennent le développement de la ligne ferroviaire Douala-Limbé-Idenau, qui établira une connexion cruciale avec le projet de port en eau profonde de Limbe, ce qui renforcera considérablement les opportunités commerciales.

En outre, il existe une proposition pour le chemin de fer Ngaoundéré-N’djamena (Tchad), qui devrait faciliter le commerce international avec le Tchad, pays enclavé. Le rapport souligne également l’établissement de la liaison ferroviaire Douala-Ngaoundéré, la construction du chemin de fer Edéa-Kribi-Campo, qui établit un lien vital avec le nouveau port en eau profonde de Kribi et sa connexion avec les régions intérieures, ainsi que la mise en œuvre du projet de chemin de fer Mbalam-Kribi. L’objectif de ce dernier est de relier les mines de fer de Mbalam au port en eau profonde de Kribi afin de rationaliser les exportations.

En outre, le rapport souligne l’objectif stratégique du Cameroun, en collaboration avec des partenaires privés, d’étendre son réseau ferroviaire à 5 500 kilomètres d’ici 2030. Cependant, étant donné que nous sommes déjà en 2023, la réalisation de cet objectif ambitieux dans le délai imparti soulève des questions quant à sa faisabilité.

Le champ d’application de la loi et les acteurs institutionnels

La loi a un champ d’application étendu, englobant toutes les activités ferroviaires menées sur le territoire national du Cameroun par tout opérateur ferroviaire, indépendamment de son statut juridique, du lieu de son siège ou de son principal établissement, de la nationalité de ses propriétaires ou de ses gestionnaires, ou de l’origine géographique de son capital. Elle s’applique à tous les aspects du transport et de l’industrie ferroviaires, y compris l’infrastructure, le matériel roulant, la gestion, la sécurité, la sûreté et la réglementation.

Partie sur les questions et réponses :

  1. Quels sont les acteurs institutionnels du secteur ferroviaire au Cameroun selon cette loi ?

Il y a trois acteurs institutionnels principaux dans le secteur ferroviaire, expressément identifiés par la loi :

– L’Etat du Cameroun ;

– La Société de patrimoine ferroviaire ; et

– l’Autorité de régulation et de sécurité ferroviaire.

Cela dit, d’autres acteurs institutionnels également identifiés (expressément et implicitement) dans la loi font partie de l’Etat du Cameroun et joueront un rôle crucial dans la régulation et la gestion du secteur ferroviaire. Ils sont notamment :

– La Présidence de la République, qui est responsable, entre autres, de la mise en place du décret régissant la Société de patrimoine ferroviaire et l’Autorité de régulation et de sécurité ferroviaire, et de l’approbation des concessions ferroviaires.

– Le ministère des transports, responsable de la réglementation du secteur des transports, y compris le secteur ferroviaire.

– Le ministère des finances, y compris ses directions des impôts, du trésor, des douanes et du budget.

– Le ministère des travaux publics, responsable de tous les travaux publics du gouvernement.

– L’Agence de régulation des marchés publics, qui gère les appels d’offres du gouvernement.

– Le ministère de l’environnement, de la protection de la nature et du développement durable, responsable de la protection de l’environnement et des permis environnementaux.

– Le ministère de l’économie, de la planification et du développement régional, responsable, entre autres, des programmes d’investissement public de l’État ainsi que des accords de prêt au nom de l’État pour les projets d’infrastructure.

– Le ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières, responsable, entre autres, de tous les domaines privés de l’État et de l’expropriation des terres privées pour les droits de passage.

– Le ministère de l’habitat et du développement urbain, responsable, entre autres, de la supervision de la planification des réseaux de transport ferroviaire urbain.

– Le ministère de la Décentralisation, également responsable, entre autres, du soutien aux autorités locales et régionales en ce qui concerne le développement du réseau de transport ferroviaire urbain.

  1. Quel est le rôle et la responsabilité de l’État en tant qu’acteur institutionnel ?

La loi accorde à l’État la souveraineté sur le réseau ferroviaire national avec l’autorité de définir la politique nationale de transport ferroviaire conformément aux normes, conventions et accords internationaux pertinents, ainsi que de promouvoir et de développer les activités ferroviaires. Le rôle de l’État en tant qu’acteur institutionnel est principalement mis en œuvre par le ministère des transports.

En ce qui concerne la politique nationale de transport ferroviaire, l’État est chargé de légiférer sur les conditions du transport ferroviaire, d’établir des réglementations et de superviser les activités ferroviaires, d’assurer un système ferroviaire national cohérent et fonctionnel, et de fournir des statistiques et des informations accessibles sur le transport ferroviaire.

En ce qui concerne son obligation de promouvoir et de développer les activités ferroviaires, l’État a le devoir de coordonner et d’améliorer la qualité pour les usagers des voies ferrées, de renforcer le transport urbain et interurbain, de développer les activités de fret ferroviaire, d’assurer la durabilité opérationnelle et la gestion de crise, de garantir la sécurité des personnes, des biens et des installations ferroviaires, ainsi que de prévenir les actions qui menacent la sécurité ferroviaire, d’organiser et de guider l’industrie ferroviaire par la formation et la recherche, de planifier et d’exécuter les réseaux ferroviaires, de promouvoir l’expansion du réseau et le transport intermodal, de soutenir l’interconnexion avec d’autres pays, et de négocier et de mettre en œuvre des accords de transport ferroviaire.

Enfin, en ce qui concerne la surveillance et le contrôle, l’État doit superviser les actifs ferroviaires sous concession, évaluer les activités des opérateurs ferroviaires et assurer la compétitivité, l’équité et l’optimisation des prix dans le transport ferroviaire.

  1. Qu’est-ce que la société de patrimoine ferroviaire, et quels seront ses attributions et ses responsabilités ?

La société de patrimoine ferroviaire est une innovation apportée par cette loi. Auparavant, les actifs ferroviaires étaient gérés dans le cadre de la concession CAMRAIL. Cette société, dont la structure sera définie par décret du Président de la République, sera chargée de gérer les biens et droits ferroviaires attribués par l’État (identifiés ci-dessous), de délivrer aux opérateurs ferroviaires les autorisations d’accès à l’infrastructure ferroviaire, de superviser l’exploitation des trains, de sauvegarder l’infrastructure ferroviaire, de renouveler et de développer l’infrastructure ferroviaire et de protéger le patrimoine ferroviaire national.

  1. Qu’est-ce que l’Autorité de régulation et de sécurité ferroviaire, et quels seront son rôle et ses responsabilités ?

L’Autorité de régulation et de sécurité ferroviaire est une autre innovation introduite par cette loi, suite au déraillement meurtrier d’Eseka de 2016. L’organisation et le fonctionnement de cette Autorité seront déterminés à l’avenir par un décret du Président de la République. Elle est chargée de réguler les conventions ferroviaires, de veiller au respect des normes de sécurité, de résoudre à l’amiable les différends entre les acteurs du secteur ferroviaire, de protéger les droits des usagers, d’appliquer la réglementation, de promouvoir une concurrence saine, de conseiller sur les politiques sectorielles, de réaliser des audits, de participer aux enquêtes sur les accidents, de proposer des sanctions en cas d’infraction, d’approuver les tarifs et de négocier les conventions de transport ferroviaire. La loi accorde à ses employés le statut d’officiers de police judiciaire à compétence spéciale pour les questions liées à la sécurité et à la sûreté ferroviaires.

  1. Qu’est-ce que le réseau ferroviaire au sens de cette loi ?

Le réseau ferroviaire englobe toutes les infrastructures ferroviaires publiques ou privées du pays destinées à l’exploitation de services de transport ferroviaire. Il comprend à la fois le réseau ferroviaire national et les réseaux ferroviaires secondaires.

  1. Qu’est-ce que le réseau ferroviaire national ?

Le réseau ferroviaire national comprend toutes les infrastructures ferroviaires construites par l’État et destinées aux services de transport de marchandises et de passagers par rail. Ce réseau comprend divers éléments tels que l’infrastructure ferroviaire, les voies, les voies d’évitement, les lignes principales pour les embranchements ferroviaires privés, la signalisation, les bâtiments, les passages à niveau et les installations électriques. Il est considéré comme faisant partie de l’emprise ferroviaire publique, à l’exclusion des biens meubles associés à l’infrastructure.

  1. Qu’est-ce que le réseau ferroviaire secondaire ?

Les réseaux ferroviaires secondaires englobent divers réseaux spécialisés, notamment les réseaux ferroviaires portuaires, les réseaux ferroviaires aéroportuaires, les réseaux de transport ferroviaire urbain, les embranchements privés et les installations ferroviaires privées.

Le réseau ferroviaire portuaire et le réseau ferroviaire aéroportuaire font partie de l’emprise ferroviaire publique et sont construits sur la base d’un accord distinct entre la société de patrimoine ferroviaire et les entités responsables de la gestion et de l’exploitation du port ou de l’aéroport.

Les réseaux ferroviaires de transport urbain sont conçus pour le transport urbain de passagers et peuvent être construits par les autorités décentralisées régionales ou locales ou leur être attribués par l’État. Les conditions de construction, d’exploitation et d’entretien d’un réseau ferroviaire de transport urbain de passagers au sens de la loi sont définies dans une convention de concession entre les autorités régionales et locales et le concessionnaire.

Des embranchements ferroviaires privés relient des entreprises ou des zones industrielles au réseau ferroviaire national, permettant le transport de marchandises sans rechargement. La société de gestion des actifs ferroviaires peut accorder des droits de construction de ces embranchements ferroviaires privés à diverses entreprises, sous réserve des règlements définissant leur établissement, leur construction, leur exploitation et leur entretien.

Enfin, les installations ferroviaires privées sont des infrastructures ferroviaires construites sur des propriétés privées à des fins commerciales, agricoles, industrielles, récréatives ou de formation professionnelle ferroviaire. Leur construction, leur gestion et leur exploitation seront définies dans un décret d’application de la loi sur le secteur ferroviaire.

  1. Quels sont les régimes de gestion des activités ferroviaires au Cameroun ?

La loi prévoit quatre régimes principaux pour la gestion des réseaux ferroviaires nationaux au Cameroun :

– La concession,

– la licence,

– l’autorisation et

– la déclaration.

  1. En quoi consiste le régime de la concession dans le cadre de cette loi ?

L’Etat peut accorder des concessions pour trois objectifs principaux : la construction, la réhabilitation et le renouvellement de l’infrastructure ferroviaire ; la gestion du réseau ferroviaire national ; et l’exploitation technique et commerciale des services de transport ferroviaire de marchandises et/ou de passagers, y compris l’entretien de l’infrastructure ferroviaire. Ces concessions sont accordées exclusivement à une société de gestion des actifs ferroviaires, et des dispositions spécifiques définissent la portée, la durée et les conditions de renouvellement de la concession.

Les accords de concession doivent traiter de manière exhaustive divers éléments essentiels, notamment la gestion de l’infrastructure, les conditions de construction, les contributions financières, le traitement des usagers, les qualifications des candidats et les garanties financières. Une fois négocié, l’accord est cosigné par le ministre des transports, le ministre de l’économie et le ministre des finances représentant l’État et la société de patrimoine ferroviaires, sous réserve de l’approbation du président de la République.

  1. En quoi consiste le régime de licence prévu par cette loi ?

Le régime de licence couvre diverses activités liées aux chemins de fer, notamment l’exploitation technique et commerciale de services de transport public de passagers et de marchandises, ainsi que les services d’entretien. En outre, le régime de licence couvre la fourniture de services commerciaux associés aux activités ferroviaires.

Le processus de délivrance des licences est supervisé par la société de patrimoine ferroviaire, qui examine les demandes et accorde les licences, sous réserve de l’approbation de l’Autorité de régulation et de sécurité des chemins de fer. Les conditions et procédures détaillées d’octroi des licences seront précisées par des décrets, qui fourniront des lignes directrices claires aux intéressés et aux opérateurs du secteur ferroviaire.

  1. Quelles sont les dispositions de la loi qui s’appliquent à la fois au régime de concession et au régime de licence ?

Plusieurs dispositions s’appliquent à la fois au régime de concession et au régime de licence, notamment la conformité réglementaire, la transparence financière, les exigences en matière de sécurité et de défense, la responsabilité environnementale, les normes opérationnelles, les mesures de performance et l’adhésion aux obligations internationales.

  1. Quels sont les régimes d’autorisation et de déclaration ?

La loi ne définit pas les régimes d’autorisation et de déclaration, mais prévoit que les conditions d’obtention et de délivrance de l’autorisation et d’exercice de la déclaration seront établies par un décret. Un tel règlement n’a pas encore été publié, et il n’est pas clair quelles activités ferroviaires nécessiteront une autorisation et lesquelles devront être déclarées aux régulateurs.

  1. La nouvelle loi ouvre-t-elle le marché dans ce secteur ?

Oui, la loi interdit les actions visant à empêcher, restreindre ou fausser la concurrence dans les opérations ferroviaires. Cette interdiction s’applique en particulier aux actions qui limitent l’accès au marché ou la libre concurrence pour les autres opérateurs ferroviaires et qui faussent les prix sur le marché en manipulant artificiellement les hausses ou les baisses de prix. La loi annule tout engagement, accord ou clause contractuelle qui promeut des pratiques contraires à la libre concurrence. En outre, la loi camerounaise relative à la concurrence s’applique aux questions de concurrence dans le secteur ferroviaire.

  1. Quel est le patrimoine ferroviaire au Cameroun au sens de cette loi ?

Le patrimoine ferroviaire au sens de cette loi comprend le domaine public ferroviaire et le domaine privé de l’Etat et d’autres personnes morales de droit public, exclusivement utilisés pour les activités ferroviaires. La loi définit le champ d’application de ce patrimoine, y compris l’infrastructure ferroviaire, les terrains situés dans les emprises ferroviaires et les actifs utilisés pour les activités ferroviaires.

  1. La loi permet-elle l’expropriation de propriétés privées pour la construction de chemins de fer et l’établissement d’emprises ?

Oui, la loi autorise l’expropriation de propriétés privées pour la construction de chemins de fer et l’établissement d’emprises. Selon la loi, les propriétés privées, bâties ou non, situées dans les limites de l’emprise prévue, doivent être expropriées et reclassées dans le domaine public. Ce processus s’effectue dans les conditions prévues par la législation foncière.

Dans les cas où l’expropriation est nécessaire, elle suit les procédures décrites dans le décret n° 87/1872 du 16 décembre 1987 portant application de la loi n° 85/09 du 04 juillet 1985 relative à l’expropriation pour cause d’utilité publique et aux modalités d’indemnisation. Le ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières supervise la procédure d’expropriation. Il est important de noter que la responsabilité de l’indemnisation incombe à la partie au nom de laquelle le terrain est exproprié.

En résumé, la loi autorise effectivement l’expropriation de propriétés privées pour la construction de chemins de fer et l’établissement de droits de passage, avec des procédures claires et des exigences d’indemnisation en place pour garantir l’équité et le respect de la loi.

  1. Existe-t-il des incitations spécifiques à l’investissement dans le secteur ferroviaire au Cameroun, à l’instar d’autres lois sectorielles ?

La loi sur le secteur ferroviaire au Cameroun ne comprend pas d’incitations à l’investissement spécifiques au secteur. Cependant, le Cameroun a mis en place un ensemble complet d’incitations à l’investissement privé par le biais de la loi n° 2013/004 du 18 avril 2013 modifiée en 2017. Cette loi offre un large éventail d’incitations fiscales et douanières, notamment des exonérations de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur les bénéfices et les dividendes, des frais d’enregistrement, des droits de timbre, de l’importation et de l’exportation en franchise de droits, et plus encore.

Ces incitations sont applicables sans exception pendant la phase d’établissement, qui peut durer jusqu’à cinq (05) ans. Elles continuent également de s’appliquer pendant la phase d’exploitation, pour une durée maximale de dix (10) ans. En outre, la loi accorde aux investisseurs étrangers le privilège de rapatrier leurs bénéfices à l’étranger en monnaie locale et étrangère, et ils peuvent tenir des comptes au Cameroun et à l’étranger en monnaie locale et étrangère.

En outre, lors de la négociation des accords de concession dans le cadre du régime de concession susmentionné, les investisseurs ont la possibilité de négocier des incitations fiscales, douanières et d’autres incitations à l’investissement pour couvrir leurs investissements au cours d’une période donnée. Ils peuvent également obtenir des garanties d’investissement de la part de l’État, comme il est d’usage, et internationaliser l’accord de concession, notamment en termes de règlement des différends (arbitrages, etc.).

En conclusion, ce cadre juridique complet, bien qu’il ne soit pas spécifique au secteur ferroviaire, offre des incitations substantielles pour encourager l’investissement et promouvoir le développement économique au Cameroun.

  1. Quelles sont les dispositions en matière de sécurité et de sûreté prévues par cette loi ?

La loi accorde une grande importance au respect des règles de sécurité dans les différents domaines de l’exploitation ferroviaire, y compris l’infrastructure ferroviaire, le matériel roulant et la gestion du trafic ferroviaire. La loi met également l’accent sur la sécurité ferroviaire, mais précise que les règles spécifiques relatives à la police et à la sécurité ferroviaires seront établies par des instruments distincts.

  1. Cette loi impose-t-elle des exigences en matière d’assurance aux opérateurs ferroviaires ?

Le secteur ferroviaire au Cameroun est soumis à un vaste régime d’assurance décrit dans les articles 88 à 93 de la loi.

Tout d’abord, tout le matériel roulant utilisé dans le transport ferroviaire doit être assuré par l’opérateur, conformément aux réglementations en vigueur. Cette disposition garantit que l’équipement utilisé dans les opérations ferroviaires est correctement couvert par une assurance, ce qui favorise la sécurité et la responsabilité au sein de l’industrie.

La loi introduit également l’obligation pour les opérateurs ferroviaires d’obtenir une “police d’assurance contre les risques professionnels” pour leur personnel technique et commercial à bord des trains. Cette police vise à préserver le bien-être des employés engagés dans les opérations ferroviaires, en leur offrant une protection financière en cas d’accidents ou de blessures liés au travail.

En outre, la loi oblige les opérateurs ferroviaires à souscrire diverses polices d’assurance couvrant les risques liés à leurs activités. Ces polices doivent être soumises à l’Autorité de régulation et de sécurité des chemins de fer avant le début des opérations, ce qui garantit que les opérateurs sont financièrement préparés à faire face à toute circonstance imprévue.

L’article 93 souligne la gravité du respect de ces dispositions en matière d’assurance. Le non-respect des obligations d’assurance décrites ci-dessus peut entraîner des sanctions conformément aux lois et réglementations en vigueur, ce qui souligne l’importance d’un respect strict des exigences établies en matière d’assurance.

  1. Quelles sont les obligations en matière de protection civile en vertu de cette loi ?

La protection civile dans le secteur ferroviaire est essentielle, et des mesures sont décrites pour prévenir les accidents ferroviaires graves ou les catastrophes, y compris l’organisation des opérations de secours en cas de catastrophe. Diverses parties prenantes collaborent pour assurer la protection civile, en mettant l’accent sur la transparence et la sensibilisation du public pour permettre aux communautés de prendre des décisions en connaissance de cause. Ces dispositions s’ajoutent aux dispositions légales et règlementaires existantes sur la protection civile.

  1. Quelles sont les obligations environnementales prévues par cette loi ?

La loi s’engage à protéger l’environnement dans le secteur ferroviaire et à aligner les activités ferroviaires sur les lois internationales et nationales en matière d’environnement. Elle traite de l’impact sur l’environnement, de la gestion des déchets, du transport des substances dangereuses, de la transparence et de la sensibilisation du public aux effets sur l’environnement. Les populations locales vivant le long des lignes ferroviaires sont encouragées à participer à la gestion de l’environnement.

  1. Quelles sont les dispositions relatives au règlement des différends ?

La loi prévoit des mécanismes de règlement des litiges, y compris des procédures de conciliation pour les litiges entre les utilisateurs et les opérateurs ferroviaires. Les litiges entre opérateurs de transport ferroviaire doivent d’abord être soumis à l’Autorité de régulation et de sécurité ferroviaire, qui peut recourir à des procédures de conciliation et, si nécessaire, d’arbitrage, même si les parties conservent leur droit de saisir les tribunaux en cas d’échec de la conciliation. Des mesures conservatoires peuvent être prises pour assurer la continuité du service public de transport ferroviaire en cas de litiges menaçant de perturber les activités ferroviaires.

  1. Comment le déraillement d’Eseka survenu le 21 octobre 2016 a-t-il contribué à la formulation de cette loi et des innovations qui y sont associées ?

Après le déraillement d’octobre 2016, tel que présenté précédemment, le Président de la République a rapidement mis en place une Commission d’enquête chargée d’enquêter sur l’incident. Ses conclusions ont été rendues publiques sept mois plus tard, en mai 2017. Avant la publication du rapport, le 23 janvier 2017, le président, par l’intermédiaire du secrétaire général de la présidence, a publié un communiqué de presse. Ce communiqué indiquait que le président avait utilisé les conclusions du rapport pour lancer cinq mesures spécifiques visant à réduire le risque de catastrophes similaires à l’avenir. Ces mesures sont les suivantes :

– La réalisation d’un audit de l’accord de concession : Le président a voulu revoir la convention de concession signée le 19 janvier 1999 entre l’État du Cameroun et CAMRAIL, ainsi que les deux avenants ultérieurs signés en 2005 et 2008. L’objectif était de déterminer si CAMRAIL s’était acquittée des responsabilités qui lui avaient été confiées.

– Initier des discussions entre les partenaires de CAMRAIL : Ces discussions visaient à accroître l’implication de l’État dans la société et à répondre aux préoccupations sociales, en particulier en ce qui concerne le transport de passagers.

– Création d’une société de patrimoine ferroviaires : La création de cette société était prévue dans la convention de concession de CAMRAIL (mais n’a jamais été mise en œuvre) et serait responsable de l’entretien du réseau ferroviaire, ainsi que de l’exécution de projets de modernisation et d’extension des voies ferrées.

– Imposer des sanctions appropriées aux responsables dont l’implication dans l’accident a été reconnue dans le rapport d’enquête.

– Renvoyer le rapport d’enquête aux tribunaux pour leur permettre de tirer toutes les conclusions juridiques nécessaires.

Il ne fait aucun doute que le rapport qui a suivi l’accident a grandement influencé cette loi. Le Cameroun est passé d’un quasi-monopole du secteur ferroviaire à un secteur ouvert à la concurrence, comme le soulignent la loi et cet article. En outre, la loi a créé la Société de patrimoine ferroviaire et a renforcé l’implication de l’État dans le secteur en créant une autorité de régulation, à savoir l’Autorité de régulation et de sécurité des chemins de fer. En outre, la loi a introduit des agents assermentés de l’Autorité de régulation et de sécurité des chemins de fer chargés d’enquêter et de déterminer les infractions prévues par cette loi et ses instruments réglementaires pertinents. À ce titre, ils sont chargés de rédiger des rapports sur toutes les opérations menées au cours des enquêtes. Enfin, la loi a introduit une série d’infractions et les sanctions administratives et pénales associées à ces infractions.

Conclusion

En résumé, la nouvelle loi camerounaise sur le secteur ferroviaire, adoptée à la suite d’un déraillement tragique survenu en 2016, marque un changement important dans le passage d’une réglementation obsolète à un cadre de marché plus ouvert et plus moderne. Cette loi introduit des acteurs institutionnels essentiels, décrit divers cadres pour la conduite des opérations ferroviaires, met fortement l’accent sur la sécurité, la sûreté et la préservation de l’environnement, et met en place des mécanismes efficaces de règlement des différends. Grâce à la promotion de la concurrence et à la gestion responsable des actifs ferroviaires, cette loi vise à rajeunir et à développer le secteur ferroviaire camerounais, promettant ainsi des services de transport améliorés et des perspectives économiques accrues dans les années à venir.

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